Dinah, invisible mais invincible

La force des femmes n'est pas née avec notre époque contemporaine. Anita Diamant, dans The Red Tent, ressuscite cette puissance originelle à travers la voix de Dinah. Ce récit, originaire de la Génèse et imprégné de sagesses transmises de mère en fille, nous rappelle que la force des femmes est ancestrale.

A travers les mots
4 min ⋅ 03/09/2024

La tente rouge : un sanctuaire de la sororité

La tente rouge, ce lieu de refuge où les femmes de la tribu de Jacob se retirent pendant leurs menstruations et pendant les accouchements qui deviennent de véritables rituels de transmission, devient le symbole central de ce pouvoir féminin. Ici, loin des regards masculins, les femmes créent un espace sacré où elles se soutiennent, se conseillent, se transmettent leurs histoires et donnent la vie, dans tous les sens du terme. « In the ruddy shade of the red tent, the menstrual tent, they ran their fingers through my curls, repeating the escapades of their youths, the sagas of their childbirths. Their stories were like offerings of hope and strength poured out before the Queen of Heaven »​. Cet espace devient le berceau d'une féminité insurgée, un lieu où le pouvoir des femmes est non seulement reconnu, mais célébré : chaque naissance est une victoire collective sur les incertitudes de la vie.

« In the red tent, the rhythms of our bodies became the rhythms of our lives, a private song that only women could hear. »

Dinah, à travers ces rituels et ces récits, apprend la force et la résilience des femmes. La tente rouge est plus qu’un lieu physique ; elle est un symbole de la communauté féminine, un endroit où la sororité se manifeste dans sa forme la plus pure. « It was good to see the river again. After the heat of the hills, the embrace of the Nile was sweet and cool »​ un retour à la source, à l'essence même de la vie qui circule inlassablement.

La dualité de l'amour et de la trahison

Mais la vie de Dinah, comme celle de tant d'autres femmes des récits religieux, est marquée par la dualité des sentiments humains : l'amour et la trahison, l'espoir et le désespoir. L'histoire d'amour de Dinah avec Shalem se termine en tragédie, non pas à cause de leur union, mais à cause de la violence de ses frères, une violence qui cherche à protéger l'honneur masculin au détriment de la vie féminine et de l’avis féminin. Effectivement, tandis qu’elle éprouve un amour réciproque pour Shalem, les hommes de sa famille décident de massacrer tous les hommes du village pour sauver leur dignité et leur honneur, bafoué selon eux par le corps de l’unique femme de la fratrie. Pourtant, la principale concernée reste sans voix, réduite au silence, donc à sa condition de femme, incapable de vivre son amour.

« It was Simon who lifted me and Levi who stopped up my mouth, and the two of them trussed me hand and foot like a sacrificial goat, loaded me on the back of donkey, and packed me off to my father’s tent before I could alarm any poor soul still left alive in the doomed city. My brothers’ knives worked until the dawn revealed the abomination wrought by the sons of Jacob. They murdered every man they found alive. »

Entre les multiples femmes de Jacob, la dualité de l’amour sévit également, étant donné que sa préférence pour Rachel cause des dommages émotionnels autour de leur couple. « I looked down to see Rachel’s lapis ring, Jacob’s first gift to her. At first I thought to call Judah back and ask him why my mother had sent me the token of Jacob’s love for her sister »​. Pourtant, cet anneau, symbole d'un amour complexe, devient le signe d'une réconciliation posthume, un pardon silencieux entre deux sœurs qui ont partagé un même homme.

Résilience et immortalité à travers le souvenir

L'Égypte, où Dinah refait sa vie après la tragédie de Shechem, devient le cadre de sa renaissance. Mais c'est aussi là qu'elle commence à comprendre la véritable nature de l'immortalité, car celle-ci du cadre frêle de l’existence. Ce n'est pas dans les monuments ou les conquêtes que réside l'éternité ou la liberté, mais dans les souvenirs et l'amour que l'on laisse derrière soi : souvent, pour se retrouver, il faut aussi savoir se retourner. « Death is no enemy, but the foundation of gratitude, sympathy, and art. Of all life’s pleasures, only love owes no debt to death »​. La mort, loin d'être une fin, est vue comme une continuation naturelle, un passage où les âmes des femmes qui l'ont précédée l'accueillent et l'accompagnent. La mort, surtout, ne fera jamais d’ombre à l’amour : pour mourir en paix, il faudrait, à la manière de Nietzsche en un sens, pouvoir revenir au début et ne rien regretter de tout l’amour donné.

À la fin, Dinah trouve la paix, entourée de l'amour de sa famille et de ses descendants. Elle réalise que la véritable force réside dans l'amour et le souvenir, qui perdurent au-delà de la vie physique : ils sont les véritables prouesses de l’humanité. « In Egypt, I loved the perfume of the lotus... It is the same for people who are loved. Thus can something as insignificant as a name... summon up the innumerable smiles and tears, sighs and dreams of a human life »​.

Ce parfum, comme l'amour, ne meurt jamais vraiment ; il persiste, rappelant à ceux qui restent la force et la beauté de ceux qui sont partis.

La Tente rouge d’Anita Diamant ne se contente pas de raconter l’histoire de Dinah ; le roman lui-même devient une sorte de tente, un espace sacré où les voix oubliées des femmes trouvent refuge. Comme la tente rouge du récit, ce livre offre un sanctuaire aux histoires étouffées par le silence des récits patriarcaux, redonnant une voix à ces femmes dont l’existence a été marginalisée. Anita Diamant transforme la littérature en un lieu de rassemblement intime, où les douleurs, les joies et les expériences partagées par des générations de femmes deviennent des offrandes de force et de résilience. À travers cette reconstitution vibrante, le lecteur est invité à entrer dans ce cercle de sororité où les récits murmurés deviennent des actes de mémoire collective. La Tente rouge se métamorphose en un espace de transmission, où l’immortalité des femmes ne réside pas dans les grandes conquêtes, mais dans les histoires intimes qui se tissent, se répètent et se célèbrent. En faisant du roman lui-même une tente rouge, Diamant crée un hommage puissant et immersif à la féminité intemporelle, rappelant que tant que ces histoires sont racontées, les femmes ne cesseront jamais de vivre à travers elles.

A travers les mots

A travers les mots

Par Diana C.

À propos de l’auteur de “A travers les mots”

Écrire est mon moyen de donner une forme à l’informe, de contenir l’incontenable, de concevoir l’inconcevable, de vivre l’irréversible. C’est ainsi que je suis toujours en vie, malgré les heurts brutaux, malgré les départs incessants, malgré tant d'adieux dissimulés derrière des sourires de plomb, malgré tant de retours impossibles, malgré tant d'amours (in)finis. L’écriture est ma boussole dans la tempête, ma carte au milieu de l’immensité, mon unique moyen de ne pas sombrer dans l’océan de la mélancolie – de mon immense mélancolie.

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